Le film débute à La Plata, juste avant le déménagement de Camila pour Buenos Aires. On voit la jeune fille avec ses ami·e·s lors d'une sortie au musée de Sciences Naturelles de La Plata où elle vit alors. Si cet épisode a son importance, c'est justement parce qu'il se terminera sur le portrait de Damiana, jeune fille Aché capturée enfant par des colonialistes paraguayens qui firent sur elle des études anthropologiques avant qu'elle ne soit placée en hôpital psychiatrique à l'âge de 14 ans, pour une appétence sexuelle jugée "anormale" au début du XXe siècle. La scène où Camila observe à travers la vitre le portrait de Damiana est saisissante. Il ne s'agit pas d'une scène comme une autre. A travers celle-ci, Inés Barrionuevo veut nous faire passer un message et annoncer dès le départ "la couleur du film" (et elle sera verte !). Le regard de Camila en dit long sur la compassion qu'elle ressent envers cette jeune fille et envers ce système patriarcal qui, un siècle plus tard, continue de faire des victimes innocentes et des ravages dans nos sociétés...

Beaucoup de thématiques sont abordées dans le film et s'il y en a bien une qui ressort dès le début du film c'est celle du féminisme. Le mot féministe sera d'ailleurs rapidement prononcé (plutôt négativement) mais c'est à travers un symbole pro-avortement que le ton sera donné. Rappelons que l'Argentine n'a approuvé que très récemment la loi sur l'avortement et que ce fut le fruit d'une très longue mobilisation de ces femmes aux foulards verts (sur le sujet, je vous recommande de voir l'excellent documentaire Femmes d'Argentine (Qué sea ley) réalisé par Juan Solanas).

Il sera demandé à Camila de bien vouloir "cacher" son féminisme et de réprimer ses idéaux libertaires afin de s'intégrer au mieux dans son nouvel établissement qui n'accepte aucune idéologie politique. Mais loin de se laisser faire, Camila n'hésitera pas à dire ce qu'elle pense et à affirmer ses convictions personnelles à l'instar de ce cri du cœur : "L'Église, vous êtes la dictature ! " qui lui vaudra de se mettre à dos machistes et conservateurs.

La jeune actrice Nina Dziembrowski porte magistralement le film et interprète une jeune fille de son époque : mature, révoltée et engagée. Le tout sans aucune fausse note. Même ses silences et ses regards parlent pour elle tout en dégageant une aura incroyable. Il s'agit aussi d'un passage de l'adolescence à l'âge adulte où Camila va se faire de nouveaux ami·e·s, sortir dans les quartiers branchés de la ville ou encore tomber amoureuse. Au-delà de l'aspect militantisme et politique du film, il s'agit aussi de tracer le portrait d'une jeunesse qui s'émancipe. Également loin des clichés "je m'en foutiste" et rebelles des adolescent·e·s qui se cherchent et enchaînent les déconvenues, ces jeunes, même s'ils ne savent pas encore ce qu'ils veulent exactement, savent au contraire tout à fait ce qu'ils ne veulent pas. Et cela fait un bien fou !

A travers les ami·e·s, le directeur de l'école ou encore la mère et la sœur de Camila, les seconds rôles jouent un rôle très important dans le film et sont indispensables au déroulement du film. Grâce à elles et eux, d'autres sujets de société sont abordés : l'homosexualité, les injonctions faites au corps des femmes ou encore les agressions sexuelles et la complaisance envers celles-ci.

Le thème de la filiation et de la relation mère-filles revêt également son importance dans le long métrage, tant à travers l'image que Camila a de sa grand-mère qu'à travers le lien qui l'unit à sa petite sœur et à sa propre mère. Un lien qui se renforcera d'ailleurs tout au long du film. En l'absence d'une quelconque figure masculine dans la famille, la réalisatrice nous propose un portrait de femmes d'une même famille, de générations différentes, unies par leur condition de femme au sein d'une société patriarcale. Certes, chacune à une époque différente mais avec des problématiques propres à la vie de toute femme.

La conscience politique de la nouvelle génération argentine apporte un vent de fraîcheur dans ce film au scénario bien construit et aux nombreux enjeux sociétaux. Homosexualité, féminisme, religion, patriarcat, tant de sujets - actuels et nécessaires - abordés à travers le regard d'une adolescence argentine en pleine mutation. Camila saldrá esta noche est un film marquant et porteur d'espoir grâce à cette jeunesse féminine et féministe qui ne laissera rien passer et qui se battra envers et contre tout pour ses droits. A la fin du film, le magnifique élan de sororité contre le système patriarcal en est la parfaite illustration.

Le 30 mars 2022.

Vu dans le cadre de la 34e édition de Cinélatino à Toulouse.