Films
Le grand mouvement
Plan du ciel sur la grande « urbe » au ralenti. Un urbanisme dense aux allures de ville fantôme, La Paz vue comme une ruine en devenir où le seul mouvement vital semble être celui de la caméra. Le théâtre de la narration s'impose tel un géant dévorant le peuple. L'espace son de l'image est occupé par des bruits de chantiers : des outils mécaniques et métalliques s'entrechoquent. Puis un balayage à l'horizontale plus rapproché des fenêtres des bâtiments, le son devient plus humain. Des voix d'enfants. Une sonnerie d'école. Des bruits de transport. Un embouteillage. Des cabines téléphériques. La mécanique de ces cabines en gros plan. Des câbles s'enracinent à l'écran comme ils scindent le ciel de la métropole, ses murs, ses façades, ses pylônes et finalement ses habitants. Des matériaux urbains renvoient des reflets déformés et des échos confus de dialogues inaudibles. Le bruit d'une horloge. La marche des citadins sous un drapeau fragmenté de la Bolivie, accompagnée par une symphonie inquiétante.
L'état des infrastructures est rédigé par la caméra telle une expertise réalisée au lendemain d'une catastrophe. Les murs parlent, les traces sur les murs parlent, les couches d'affiches en tout genre collées et déchirées sur les murs parlent. Tout fait du bruit dans cette ville. Que nous révèle ce brouhaha menaçant de plus de 6 minutes dans lequel est introduit le spectateur ?
« Huanuni debout Huanuni de pie
Jamais à genoux ! » Nunca de rodillas"
« Sangre de minero Mineur dans le sang
Semilla de guerillero » Cœur de combattant"
C'est le personnage qui a pris vie dans Viejo Calavera (2006), Elder Mamani, que nous retrouvons à La Paz. Il est entouré d'autres camarades mineurs arrivés en ville après six jours de marche depuis leur village de Huanuni (dans le département de Oruro). Un exode issu de la fermeture des mines, entre autres éléments déterminants pour ces hommes en quête d'existence. Ils échangent des informations précieuses pour le spectateur, lourdes de sens historico-social. La ville est scrutée, son organisation est tout autant révélatrice de leur réalité. L'état de santé de ces mineurs est constaté : des douleurs pulmonaires pour Elder, des problèmes d'alcool et une misère économique pour tous. Ils vivent dehors, s'encouragent malgré tout et essaient de prendre soin les uns des autres.
A l'image d'une Olympe des infortunes de Yasmina Khadra, la réalité sociale est dépeinte avec les outils cinématographiques les plus expressifs : le son porté presque jusqu'à la saturation, le clair-obscur qui s'assombrit au fil des images, une mise en scène qui s'affirme dans la performance par des acteurs qui errent, qui sont malades, qui parlent dans leur langue et qui délirent jusqu'à danser macabrement dans les seuls recoins qui leur sont symboliquement autorisés.
VS. Le cœur des Hommes
L'errance de la ville est sublimée par celui qui fait le lien avec les terres qui la surplombent. Max, celui qui soigne avec les herbes, n'échappe pas non plus à la Machine Infernale qu'est cette ville. On voit les carrières puis on s'approche du territoire plus naturel. Des souches, des arbres, des branches au sol. On voit Max dans cette clairière, enveloppé dans un son inquiétant. La mise en scène est révélatrice de la folie qui l'anime. S'ensuivent les images d'un espace urbain dévasté. Par une catastrophe naturelle ? Par la destruction organisée ? Tout semble tranchant. Retour sur l'homme, allongé au sol cette fois-ci. Même les bruits d'oiseaux deviennent menaçants, porteurs de mauvais présages.
On croisera encore des femmes vendeuses au marché, des pies inquiétantes aux rires moqueurs. On rencontrera Mama Panchita qui parle elle aussi une langue qu'elle seule semble comprendre. Ils viennent tous d'un exode et semblent malgré tout encore de passage, installés misérablement à La Paz.
La maladie. La médecine. Le vertige de l'intra et de l'extra-muros. L'hostilité et la vulnérabilité de toute part. Des traditions et croyances ancestrales, parfois locales, d'autres universelles vouées à cohabiter dans une Métropole infernale. Les difficultés respiratoires de Elder deviennent les nôtres. Mais vient la pluie -la Pachamama ?- qui les débarrasse de la crasse. Le long plan séquence final nous fait douter. Avons-nous assisté au chemin de Sisyphe ? Tout recommencera-t 'il ?