Films
Un cinéma lié à l'indépendantisme
Au cours des deux dernières années, on a assisté à un flot d'ouvrages, pour la plupart des essais, publiés autour de la question catalane surtout en Espagne mais également en France. Le cinéma documentaire s'est également emparé de ce sujet avec des œuvres défendant l'indépendance comme les documentaires d'Isona Passola (productrice, entre autres, de Pa negre d'Augustí Villaronga et présidente de l'Académie du Cinéma Catalan) Cataluña-Espanya (2009) et L'endemà (2014) ou celui de Josep María Forn El somni català (2015). C'est dans cette ligne idéologique que s'inscrit le film d'Alexandre Chartrand, qui sortira sur les écrans français le 9 décembre 2020. Dans la tradition du cinéma du réel et dans un style direct, son cinéma militant est héritier de la Révolution tranquille?: une période de réformes au cours des années 60 qui œuvra à la modernisation et à la nationalisation du Québec. Il assimile et compare le processus d'indépendance de la Catalogne à cette période en le désignant comme «?la révolution des sourires?». Cette production québécoise est un exemple des liens qui se tissent entre les mouvements indépendantistes québécois et catalans à travers des associations (Assemblée Nationale Catalane Québec, les Castellers de Montréal) ou des évènements (Via Lliure à Montréal).
Une contre-histoire du temps présent
Même si, formellement, le documentaire n'est pas aussi révolutionnaire que le message qu'il entend faire passer, on doit toutefois reconnaître au cinéaste, par ailleurs peintre, un bon travail de photographie. Certains plans rendent toute leur beauté à des scènes de liesse populaire souvent dénaturées par les médias télévisés.?La caméra est souvent bien placée et réussit à capter des moments -clés et privilégiés où les principales personnalités du nationalisme catalan sont rassemblées. Bon nombre de plans de mises en scène d'actions politiques dites «?spontanées?» (comptage de voix, vote d'une personne âgée, blocage de la circulation, etc.) ont clairement pour vocation de construire une contre-histoire du temps présent tant elles sont filmées avec emphase et délectation. Par ailleurs, sur le fond, le film met en lumière la gestion désastreuse par le gouvernement espagnol de l'époque du conflit autour du référendum?: rupture du dialogue entre responsables politiques espagnols et catalans et utilisation de la force pour bloquer un mouvement non-violent bien qu'illégal avec comme point d'orgue funeste les violences policières qui ont émaillé le vote du 1er octobre 2017. Et ce documentaire montre surtout l'attitude du gouvernement espagnol qui a provoqué la forte mobilisation autour du référendum et donné une image antidémocratique de l'Espagne au monde entier.
Un parti pris historique
L'auteur n'a de cesse, tout au long du film, de soutenir la stratégie de décrédibilisation internationale de l'Espagne, de la part des hommes politiques indépendantistes qui qualifient l'Etat espagnol de franquiste. Pour cela, il a recours à des raccourcis historiques ou à des procédés elliptiques qui peuvent tendre à véhiculer certaines idées reçues, comme celle que toutes les victimes du franquisme auraient été catalanes, ou, dans le même ordre d'idée, que les catalans ne disposeraient pas du droit de vote puisqu'ils ne peuvent pas organiser de référendum d'autodétermination. Et, pour compléter la perspective historique avec la période de la Transition de la «?quête démocratique de la Catalogne?» (le sous-titre de ce film et du précédent), peut-être aurait-il fallu rappeler l'approbation massive du référendum sur Constitution espagnol de 1978 par les catalans. Ce dernier référendum recueillit, en Catalogne, une participation de 68% dont 90% des voix en faveur de ladite Constitution?: des chiffres au-dessus de la moyenne nationale.
Exprimer «?une?liberté?»
Il n'en reste pas moins que la vitalité pacifique, bien que mise en scène, qui se dégage des images – à peine un mois et demi après les attentats des Ramblas à Barcelone – envoie un message d'espoir universel et interroge?: la célébration d'un référendum et un processus d'indépendance pour une partie de la population ne sont-ils pas avant tout l'occasion de communier et d'exprimer?«?une liberté?» ? Une liberté, au sens où l'énonçait Hannah Arendt, «?si peu identique à la souveraineté qu'elles ne peuvent pas exister simultanément?». Et c'est, peut-être là, tout le paradoxe de ce processus dit «?souverain?» et «?souriant?» : montrer que «?la fameuse souveraineté des corps politiques a toujours été une illusion qui, en outre, ne peut être maintenue que par les instruments de la violence?».
Sortie le 15 septembre '21