Films
Le résumé : En 1774, chassé par Louis XVI, un groupe de libertins français trouve refuge dans une forêt prussienne entre Berlin et Potsdam. Leur mission ? Exporter en Allemagne le libertinage. Dans ce bois, ils vont assouvir de violents désirs sexuels mais aussi partager leurs fantasmes les plus inavouables.
Prix spécial du jury à Cannes, dans la catégorie Un certain Regard, « Liberté », reprend les thèmes chers au cinéma d’Albert Serra : le morbide, le cru, le sexe et le libertinage. Et puis, il y a les longs plans fixes silencieux et l’inspiration littéraire, car le film est directement inspiré par les écrits du Marquis de Sade et notamment les 120 Journées de Sodome. Le réalisateur de « Honor de cavallería », « Histoire de ma mort » ou encore « La mort de Louis XIV » explore à nouveau le Siècle des Lumières dans une mise en scène picturale, et nous offre un moment de cinéma contemplatif durant une nuit entière.
Mise en scène tout en ombre et en lumière
Tels des spectres, éclairés par les rayons d’une lune blafarde, des hommes et des femmes poudrés et emperruqués apparaissent dans le sous-bois. Ils sortent du cadre, disparaissent de l’écran, puis y entrent à nouveau. Dans un étrange ballet et jeu de cache-cache, ils s’épient, se choisissent, s’observent, s’échangent, copulent, se mangent, se fouettent, se caressent, et tour à tour deviennent, voyeur et exhibitionniste. La lumière tout en pénombre, les éclaire par petites touches, dessine une silhouette, souligne une bouche, une courbe dans un trait de lumière, dans ce jeu de clair-obscur. Chaque plan du film est une mise en scène étudiée. Albert Serra a toujours à cœur de soigner le travail sur la couleur et la photographie. Il compose ainsi des tableaux vivants qui renvoient aux grands maîtres de la peinture, ici Boucher et Fragonard. Si le film est une expérience visuelle, le son vient la renforcer. Ici, pas de musique, mais le bruit de la forêt en continu: bruissement du vent dans les branches, craquement des branches sous les pas, envol de chouettes, cris d’oiseaux en tout genre, mais aussi râle de plaisir, frottement des corps… Les rares dialogues entre les personnages ont une musicalité chantante, comme un chuchotement dans le noir et font l’effet d’une caresse dans cette violence silencieuse. Ils sont aussi là pour nous suggérer des images fortes. Ces hommes n’ont de cesse d’imaginer les pires tortures qu’ils veulent infliger à trois femmes avec des descriptions à la limite du représentable. L’imagination du spectateur fait le reste.
Jardins des délices et des supplices
Le film peut se diviser en deux parties. Dans la première, les corps s’exposent à demi-mot, filmés par Serra avec pudeur, de loin, derrière un bosquet, un arbre, ou la vitre de la chaise à porteurs. Les scènes de libertinage se voient aussi dans le regard ébahi ou transi, de celui ou celles qui observent. Et puis l’orage éclate, signant l’ouverture de la deuxième partie. Si au début, beaucoup de choses sont donc suggérées, désormais l’on y voit de plus près, à l’image de ce personnage qui prend une lunette comme pour regarder un opéra. La caméra se rapproche et filme les corps en gros plans dans la promiscuité des chaises à porteurs. Les corps sont vieillissants, atrophiés, difformes, les scènes de fornication sont sans détour, crues, parfois jusqu’à la nausée. Les coïts se font plus violents. Et les fantasmes qui n’étaient jusque-là que des mots deviennent possibles : scènes de mutilation, torture… Les corps se saoulent jusqu’à l’épuisement et l’impuissance. Et au jour de se lever, et au rideau de descendre sur un film qui ne peut laisser indemne.
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