Films
Meurs, monstre, meurs
Plus qu'un exercice de style, c'est une oeuvre protéiforme et inclassable. On aime ou on déteste mais ce film ne laissera personne indiffèrent.
Ames sensibles s'abstenir, le ton est donné dès les premières images particulièrement « gore » : Une femme, encore vivante, apparaît avec la gorge tranchée et essaye de maintenir sa tête sur son corps. La deuxième femme, qui subira un sort presque similaire, apparaît d'abord avec un tissu qui dissimule sa bouche ... une autre future victime verra une tête de statue dans un arbre...Le sort des femmes semble donc inéluctable dans cette région « masculine de culture violente » (propos du réalisateur) : elles seront violées, assassinées sauvagement et décapitées ; sont évoquées ici les féminicides perpétués en toute impunité depuis des décennies dans la région de Ciudad Juarez au Mexique et narrés par Roberto Bolaño dans son roman 2666.
D'ailleurs dans la vraie vie, comme dans le roman et le film, l'enquête policière n'est pas concluante car le mal est bien plus profond, ancestral.
Cette enquête qui consiste à frapper les personnes interrogées et à appeler la scientifique à tout bout de champ ne mènera à rien. La vérité est ailleurs, et l'officier Cruz l'a bien compris. Tout comme l'agent Cooper dans Twin peaks.
Les sources d'inspiration sont multiples : Cronenberg, Carpenter mais l'une des plus importantes est David Lynch. Les clins d'oeil à la série Twin Peaks se multiplient, à commencer par les pics jumeaux omniprésents dans le film...même si, dans le cas présent, ils sont séparés par un pic plus petit. La scène, où l'officier Cruz fait une danse étrange avec ses bras devant un miroir dans un bar évoque le nain de la « red room ». On pourrait énumérer encore bien d'autres exemples, mais citons plutôt Alejandro Fadel lui-même : « on ne ne peut continuer à exiger que le cinéma soit une machine à raconter des histoires ». En choisissant de faire un film plus expérimental que narratif, le réalisateur s'enfonce davantage dans l'univers Lynchien. De nombreuses scènes et tableaux sont insérés dans le cours de l'action, et semblent nous emmener ailleurs, probablement dans l'inconscient des personnages. Le moment le plus surréaliste est un zoom sur un personnage au bord d'un lac dans une forêt et dont on voit le reflet dans l'eau.
Les miroirs et les reflets sont omniprésents dans la première partie du film. Dans la scène où la psy interroge David, présumé coupable du meurtre de sa femme, les miroirs se prolongent à l'infini comme une jolie métaphore de l'inconscient et du cinéma. Le dialogue tourne autour de l'image et du son et se conclut par « en médecine, on appelle ça le cinéma ». Le réalisateur a voulu, en effet, montrer toute l'étendue de son talent, en soignant tout particulièrement l'esthétique de son film : la scène du tunnel, les ombres dans le brouillard, les torches pendant une nuit pluvieuse...
Reste à savoir ce que'Alejandro Fadel a voulu nous dire : Le film est une oeuvre ouverte, bourrée de références cinématographiques, où convergent de nombreuses réflexions (trop peut-être ?) sur la folie et la peur (deux énumérations sont faites par deux personnages différents sur les phobies et les psychotropes), sur le cinéma, sur la violence des hommes, sur l'ennui qui « mène à l'horreur », sur le monstre qui sommeil en chacun de nous, et sur la sexualité : on pourrait écrire un article entier sur l'angoisse de castration de l'homme par la femme.
L'apparition du monstre (on pense à Alien, à la Venus de Willendorf des Sorcières de Zugarramurdi de Alex de la Iglesia, à Possession de Zulawski) , tranche nettement avec le reste du film par son aspect grand-guignolesque, comme pour dédramatiser la situation et rappeler que tout cela, ce n'est que du cinéma !