Films
Guantanamera
Le ridicule ne tue pas et les deux réalisateurs ont su user de ce bon proverbe, à outrance pour l'époque, et alors ? Le cinéma a ouvert la voie de la comédie cubaine en apportant cette pierre, précieuse, à l'édifice : derrière les histoires des hommes et des femmes qui se cherchent, se retrouvent ou se perdent, il y a le pays et ses ronds-de-cuir. A la manière de Nicolas Gogol, l'écrivain russe des nouvelles moqueuses (Le Nez, 1836), Gutiérrez et Tabio foulent l'uniforme des bureaucrates en le tournant en ridicule, en le dépossédant de tout sens commun, cruellement froid et injuste. Le régime de Castro en prend pour son grade, plus que pointé du doigt il est démonté en filigrane : son manque de cohérence et son absurdité au quotidien sont indéniables. Belle caricature des réalités cubaines portée au cinéma. Que l'on soit pour ou contre, impossible de ne pas esquisser ne serait-ce qu'un large sourire.
L'aventure rocambolesque des personnages éloigne certains d'entre eux et en rapproche d'autres : la mixité de Cuba est ainsi déployée et permet de contrecarrer toutes formes d'actions totalitaires ou populistes. Grâce aux multiples voix qui se présentent tout au long de l'aventure principale, c'est la post-période spéciale en temps de paix qui est filmée par ces deux cinéastes compatriotes. L'école a fabriqué des jeunes qui ne peuvent exercer leur métier comme ils le souhaiteraient, des femmes accouchent encore sur le bord des routes, les camions de marchandises sont devenus aussi des transports en commun.
La précision du geste se révèlera être la dernière pour Tomás Gutiérrez Alea qui décèdera un an après ce film laissant ainsi derrière lui le plus fin de ses travaux : une sévère critique en un humour tendre. Son travail est toujours respecté car il permet de construire une société plus en adéquation avec les besoins de tous, d'expier les difficultés et ne pas seulement détruire les bonnes volontés de son pays. Celui qui était son collaborateur pour la deuxième fois après Fraise et chocolat, Juan Carlos Tabío, lui rendra hommage régulièrement. Ce dernier occupe activement une place à l'Académie des Oscars. Alors comment ne pas continuer à applaudir leur film, si vrai et si libérateur ?
Grâce à Guantanamera, nous avons pu redécouvrir une Cuba plus agile et moins agressive, une Cuba moins enfermée et bien plus engagée dans les progrès de la démocratie que ce qu'on en laissait croire dans les années 2000. Les êtres humains sont replacés au centre de l'attention, la bureaucratie relayée au puit sans fond de l'absurdité, Cuba redéposée dans les mains des cubains.