Films

Affiche Afectados (Rester debout)

Afectados (Rester debout)

Silvia Munt
Documentaire | Espagne | 2015 | 1h22
Rébellion à La Granja
Liste de ce qui est nécessaire
J'en connais beaucoup qui se promènent avec la liste
de ce dont ils ont besoin.
Celui à qui l'on présente la liste dit : c'est beaucoup.
Mais celui qui l'a écrite dit : c'est le minimum.
Mais il y a celui qui montre fièrement
sa courte liste.
   Bertolt Brecht
  Je vais me situer, pour ensuite peu à peu me rapprocher, très loin dans le temps et l'espace des faits que relate Afectados (Rester debout). Je vais revenir en 1967, date de publication de La Société du spectacle de Guy Debord, et date également où, au Mexique, le président Díaz Ordaz met en place l'organisation d'une sanglante opération de répression à grande échelle, connue sous le nom de ''Guerre Sale'', où un an après, lors de la tuerie de Tlatelolco, des dizaines, peut-être des centaines, d'étudiants et opposants au régime ont perdu la vie. 
 Toujours à cette époque, l'un des cerveaux de la ''Guerre sale'', Luis Echevarría, accède à la présidence de la République en 1970 et entreprend une campagne de nettoyage de l'image du Méxique basée sur le développement de l'activité culturelle. C'est dans ce contexte que surgit au sein des Lettres mexicaines un groupe de poètes, autoproclamé ''Infrarrealistas'', qui pratique une littérature avant-gardiste, indomptée et un refus frontal de la culture officielle mexicaine et de ceux qu'ils considèrent comme complices (ou légitimateurs) de la ''Guerre Sale''. Ils provoquent des esclandres lors d'interventions publiques des ''vaches sacrées'' de la littérature mexicaine comme Octavio Paz ou Carlos Monsiváis. ''Notre éthique est la révolution, notre esthétique la vie'', déclare Roberto Bolaño dans le Manifeste du groupe.
 Faisons à présent un fast forward. Espagne, 2008. La bulle financière immobilière  éclate en pleine figure du gouvernement Zapatero. Ce dernier réussit néanmoins à confirmer son deuxième mandat mais se montre totalement incapable de faire face à la catastrophe. Le chômage grimpe à 4 millions et demi de personnes, les caisses d'épargne s'effondrent, laissant place à d'énormes déficits dans les comptes publics. Le nombre d'expulsions s'envole. La première PAH (Plate-forme des Affectés par l’Hypothèque) se forme à Barcelone en 2009 et le mouvement essaime rapidement dans tout le pays. Il s'agit d'une organisation horizontale, non-violente, de type assemblée et non-politique, basée sur l'aide mutuelle et la désobéissance civile. Entre 2010 et 2014 elle a réussi à empêcher 1135 expulsions. Son caractère rhizomatique et incorruptible a modelé le mouvement espagnol du 15M qui, à son tour, renforce la plate-forme (encore naissante en 2011). Elle  jouit aujourd'hui d'une formidable santé.
 Afectados (Rester debout) explique l'activité d'une PAH typique, en l'occurence celle de Sabadell, une commune ouvrière de la conurbation de Barcelone. Le documentaire présente des entretiens de ses membres, des moments en assemblée et quelques-unes des actions les plus habituelles, comme l'occupation de succursales bancaires.
Munt, qui a d'abord envisagé de réaliser un film sur ce mouvement en créant une œuvre de fiction (autour de l'avocat Dionisio Moreno qui a mené avec succès la lutte légale pour le droit au logement de son client, Mohamed Aziz, en la portant jusqu'au Tribunal Européen du Luxembourg), a fini par laisser tourner sa caméra à la Granja del Paso. Sans acteur, sans voix-off, sans scénario, avec un montage extrêmement sobre et quelques plans de coupe qui nous parlent de froids extérieurs (des routes au petit matin, des nuits d'hiver dans la banlieue), ce film dialogue, mène l'enquête et cherche les failles à la surface de la société. Il pose les questions clés sur cette éthique et cette esthétique nécessaires pour faire face (ou du moins résister) à l'hégémonie néolibérale.
 Il n'y a rien cependant chez Munt de cette arrogance révolucionnaire qui caractérisait les infra-réalistes mexicains dans leur lutte pour démasquer la culture officielle de leur pays. Bien au contraire, sa volonté est de se fondre dans l'oeuvre, et que celle-ci disparaisse à son tour, comme un participant de plus au sein de l'assemblée de La Granja.
 Les membres de la PAH de Sabadell ne sont pas beaux. Aucun jeune leader ne brille. Ils n'ont pas de dons pour faire des discours et parfois leur catalan ou leur espagnol est déficient. Ils ne savent pas bien pleurer. Ils sont dubitatifs et incertains comme les perdants. Et pour ce qui est de gagner, ils ne gagnent rien. Ils ne détruisent pas le système et ne font pas chavirer les banques. Même les employés de la succursale continuent de travailler pendant l'occupation du lieu. Ils semblent tout le temps être sur le point de baisser les bras. Ils ne font peur à personne et cependant c'est pour cela qu'ils font peur, tellement peur : ce ne sont pas des ennemis mais, à la différence de l'immense majorité des victimes, ils ne partent pas de la Granja. Peut-être parce qu'ils n'ont plus où aller.
 Afectados (Rester debout) est de la mauvaise, très mauvaise télévision. Il n'y a pas d'applaudissement, ni de musique attendrissante, ni personne ne vient deus ex machina offrir à une famille en pleurs la maison qu'ils perdent. Il n'y a pas de progression dramatique, aucun personnage ne meurt pour qu'un autre puisse s'adresser à Dieu pour que ces catastrophes ne se reproduisent plus. L'éthique démocratique de la PAH où personne ne délègue à personne d'autre fait que toute autre esthétique cinématographique n'est possible. La caméra s'assoit dans le cercle, à hauteur des regards et enregistre de près. Le résultat est une déchirure du ruban de Möbius de la télévision. Plus ou moins comme la simple existence de la PAH, sur une scène politique spectaculaire et partisane. Son humilité, sa répugnance à l'Evènement et au Symbole, parmi bien d'autres mots portant une majuscule, ces boissons de marque blanche avec lesquelles on occupe les heures mortes, de pur ennui, tandis que l'on occupe la succursale, sont un chemin. Rien de plus, mais, attention, rien de moins non plus.
José Daniel Espejo

+ d'infos
Lien web
 
Voir ce film
 

À lire aussi
Rencontre avec Silvia Munt
Interviews | Rencontre avec Silvia Munt
La France et toi...Je suis à moitié française par ma mère et ma grand-mère. Je passais mes étés ici. J'ai fait l'école française en Espagne. Elle fait partie de mon éducation et de mon A.D.N. Elle a construit ma manière de comprendre les choses, ma langue, ma culture, mon enseignement. Une école encore reconnue aujourd'hui. J'ai aussi travaillé en... Lire la suite