Films
El clan
Récompensé lors de la Mostra de Venise avec le Lion d’argent du meilleur réalisateur, El Clan de Pablo Trapero (coproduit entre autres par les frères Almódovar) s’inspire d’un fait divers survenu à Buenos Aires, durant la fin de la dictature. Le film dresse à coups de couteau le portrait glaçant d’une famille qui fit du kidnapping son gagne-pain. Trahisons, secrets, tensions, meurtres… Les ingrédients du thriller sont ici réunis.
Le vendredi 5 février 2016.
Entre 1982 et 1985, « l’affaire Puccio » défraya la chronique argentine. La dictature militaire (1976-1983) se termine alors, laissant place aux premiers sursauts de la démocratie. Ces Corleone argentins orchestrèrent quatre séquestrations, suivies d’assassinats et ce, malgré le paiement des rançons. Le dernier long-métrage de Pablo Trapero (Carancho, Elefante blanco...) reconstitue fidèlement trois de ces enlèvements.
Dans une banlieue cossue de Buenos Aires, le clan est mené d’une main de fer par le patriarche, Arquímedes Puccio. Ancien homme de main des services de renseignement militaire, il travaille désormais pour son propre intérêt. Ses victimes ? La jeunesse bourgeoise et de riches chefs d’entreprises. Il peut compter sur la complicité de son fils, Alejandro, qui lui sert d’appât lors des enlèvements. Ce dernier, rugbyman, est protégé de tout soupçon grâce à sa place dans le Club Atlético San Isidro ainsi que dans l’équipe nationale d’Argentine, Los Pumas. À chaque fois, les victimes sont séquestrées secrètement dans la maison, perturbant à peine la routine familiale. Le reste de la famille devient-il un complice silencieux ou bien une simple victime?
Un thriller filmé au cordeau
Dans El Clan, Pablo Trapero choisit d’adopter une approche documentaire. Le film s’ouvre sur des images d'archives télévisées : le discours de Galtieri (militaire et président en 1981 et 1982) ou bien d'Alfonsín (premier président élu démocratiquement après la dictature militaire, de 1983 à 1989). L’Histoire s’intercale ainsi avec la chronique intime de cette famille apparemment ordinaire. Le rythme du film est enlevé grâce au montage qui alterne le présent et le passé. On passe des premiers kidnappings à l’arrestation de la famille Puccio. Le climat n’est que plus angoissant et tendu. Et la violence psychologique, omniprésente. Au sein du domicile familial, l’ambiance est étouffante. Les repas viennent se juxtaposer avec les séquestrations dans le sous-sol. Rares sont les moments où le spectateur parvient à s’échapper de ce huit clos, si ce n’est lors des enlèvements. La maison devient alors pour tous une prison. Son geôlier, Arquímedes. Magnétique, glaçant, rigide, impassible… L’acteur Guillermo Francella (surtout connu pour ses rôles comiques) nous livre ici une interprétation excellente, et une présence charismatique.
On regrette cependant que le film s’attache plus aux effets de mise en scène et à l’esthétique (une belle composition, une image bien léchée), aux dépens du scénario. Les dessous politiques de l’affaire sont à peine évoqués et les liens entre le clan Puccio et le régime restent confus. Tout comme cette soudaine réapparition du fils cadet Daniel. Il est dommage que certains personnages, pourtant membres du clan, aient moins de présence que la mère, une femme en retrait et inquiétante.
Avec El Clan, Pablo Trapero continue le travail entrepris dans ses autres films, il interroge et fouille le passé de son pays.
Une incursion dans le film de mafia plutôt réussie.