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My mexican bretzel

Nuria Giménez
Documentaire | Espagne | 2019 | 1h 14min
FCEN 2021
My mexican bretzel
Un documentaire qui se regarde, s’écoute et se lit. Une œuvre très originale de par la mise en montage de son matériel visuel et du travail sélectif effectué sur son matériel sonore. Un documentaire qui nous laisse croire qu’on ne le regardera pas jusqu’au bout et puis, il nous attrape et c’est déjà la fin. La réalisatrice Nuria Giménez révèle une véritable maîtrise de notre fonctionnement en tant que spectateur. Une fois de plus, le programme des documentaires du Festival de cinéma espagnol de Nantes est démentiel. Nous sommes les chanceux spectateurs de cinéastes-génies en la matière !
Vivian Barrett est une femme qui a vécu des années du fascisme en Europe jusqu'aux années du franquisme de la 2ème étape en passant par la révolution pharmaceutique, industrielle, des infrastructures, des plaisirs et des désirs du milieu du 20e siècle. En Suisse d'abord, puis en Amérique, en Europe et dans la blanche île de Majorque. Une femme au ventre stérile, mariée à Léon Barrett qui jouit pleinement des avantages de sa classe sociale. Vivian Barrett a laissé un journal intime ; son mari, des images filmées. Deux manières de capturer les bribes de vies, de s'effacer pour laisser place aux événements, de maîtriser sa solitude, de brouiller les frontières entre la vie filmée et la vie vécue. Nuria Giménez a réuni ces deux supports pour en faire un documentaire majoritairement silencieux en mots, de bruits. Avec des sous-titres composés d'extraits du journal de Vivian. My Mexican bretzel est la somme de deux narrations originelles fondues dans une troisième narration de fiction. En « réalité », il s'agit d'un faux documentaire. Les images proviennent des films retrouvés dans le grenier des grands-parents de la réalisatrice, le journal est signé de sa main. Le montage, lui est réel. Un essai sur le cinéma ? L'inverse du cinéma du réel ? Du cinéma de l'irréel ?

C'est étrange à quel point on s'habitue très facilement à ce style. C'est étrange comme cette manière de dire et de montrer est captivante. Nous pourrions entrer dans une explication certainement psycho-scientifique relative aux canaux de réception d'un spectateur face à un film. Mais l'Art est ce qui retient le plus notre attention. L'envie d'Art, la jouissance d'établir des liens, le plaisir de ressentir, le délice de l'identification et de la profusion sensorielle. Nous voyons ce documentaire et nous le recevons comme la narration de la vie d'un couple, avec l'effet de fiction installé par analogie. Un dispositif efficace car les lectures supplémentaires découlent d'elles-mêmes : une époque, une classe, des voyages, une société... un portrait large et intégralement issu de la réalité passée. Un documentaire comme la restauration d'archives.

Un documentaire comme une expérience audiovisuelle hors du commun. En plus des images, de leur montage, des sous-titres que nous lisons, il y a un travail incommensurable qui a été réalisé sur la bande son. L'ensemble est tellement bluffant que si l'on ne s'y attarde pas, on pourrait imaginer qu'il est presque issu d'erreurs, d'un dysfonctionnement technique de l'époque des prises de vue, de parties irrécupérables. Mais non, cette option est impossible. La main de la cinéaste est bien intervenue et nous régale. La concentration, l'attention, la participation du spectateur sont au rendez-vous. Comme des touches de blanc dans un tableau sombre, le son surgit à des moments précis. Des sons qui s'apparentent aux sons perçus par le fœtu dans l'utérus. Des sons qu'un enfant entend dans le ventre de sa mère. Des sons organiques qui lui seront familiers au fil des jours.

Et ce n'est pas uniquement le documentaire qui naît. Nous aussi, spectateurs, nous naissons à une autre et vibrante manière de percevoir une œuvre cinématographique documentaire. C'est en lisant les crédits que nous retrouvons le nom de Andrés Duque (Oleg y las raras artes, Carelia : International con monumento)... Une école de nouveaux documentaristes est-elle en train de s'affirmer ? En ce qui me concerne, je n'ai aucun doute !

Marie-Ange Sanchez


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